Je suis un lévrier espagnol, mon nom est Personne

Je m’appelle depuis peu Ebany et je suis née dans un endroit dont je ne veux même plus me souvenir tellement c’est douloureux. J’ai découvert récemment qu’il existait un monde très différent de celui que j’avais connu auparavant parce que j’ai été placée dans une famille d’accueil et que personne n’y frappait les chiens.

Avant, je n’avais pas de nom, mais c’est normal parce qu’on ne donne pas de nom aux choses. C’est pareil pour les autres galgos, nous sommes tous interchangeables et sans aucune valeur. Pas la peine de nous donner un nom puisque nous serons tellement vite oubliés.

Galgos
Quelques galgos entassés (photo Scooby)

J’ai grandi avec d’autres galgos comme moi, parmi les cris, les coups, l’absence de caresses, l’enfermement, la peur et la mort. Je n’étais sans doute pas une championne de la chasse, j’ignore ce qu’on me reprochait, je sais juste que je ne faisais pas ce qu’il fallait.

Je vis avec la peur, elle fait partie de moi depuis si longtemps qu’elle ne me quitte plus. Cette frayeur m’a été utile pour survivre là-bas, quand ma vie n’avait aucune importance à leurs yeux. Encore aujourd’hui, je reste sans cesse sur mes gardes, même quand je mange, car un coup peut arriver très vite.  D’ailleurs je ne dors pas vraiment, je sursaute au moindre bruit, aussi petit soit-il. Dès que j’ai l’occasion de fuir, je cours me réfugier dans le jardin et comme je suis un lévrier très sportif, personne ne peut m’y attraper. J’y reste des heures, à regarder autour de moi, à surveiller le premier humain qui se dirige vers moi. Peu importe s’il prend une petite voix calme, ou s’il m’offre des douceurs à manger, je suis bien trop intelligente pour me laisser amadouer aussi vite. Et quand il réussit à m’attraper, je tremble comme une feuille dans l’attente de mauvais traitements qui ne sont pourtant plus arrivés depuis que je suis en famille d’accueil.

J’ai reçu des jouets et je mange à ma faim depuis quelques temps déjà, mais la peur reste ancrée très profondément et je sais qu’il me faudra encore de longs mois/années avant que je fasse confiance aux « deux pattes ».  Je n’ai pas compris pourquoi l’autre galgo de la famille avait l’air content de voir les gens qui habitent la maison, est-ce que cela voudrait dire qu’il est heureux avec eux ? Comment est-ce possible ?

J’observe souvent les humains interagir avec leur lévrier et je voudrais bien m’approcher, mais je n’ose pas. Alors je fais un premier pas silencieux vers eux, et puis un deuxième encore plus discret, mais au moindre mouvement de leur part, je cours au plus vite vers mon refuge à l’extérieur.

Il y a quelques semaines, la minuscule confiance que j’avais gagnée s’est envolée parce que j’ai changé de famille et que je ne comprenais pas ce qu’on attendait de moi. Est-ce que j’allais retourner chez mes tortionnaires ? J’ai eu du mal à m’habituer à mon nouvel environnement, j’ai beaucoup pleuré mais j’ai essayé de toutes mes forces d’être gentille. J’ai prié pour que personne ne me remarque et qu’on oublie ma misérable existence. J’ai fait de mon mieux pour leur plaire même si j’étais tétanisée par le moindre regard. Après trois semaines, je suis retournée vers ma famille d’accueil où j’ai pu retrouver un peu de tranquilité avec des lévriers que je connaissais et j’ai ainsi pu continuer ma lente progresssion.

Je sais que bientôt j’aurais droit à un nouveau départ et à une famille définitive qui puisse comprendre qu’être effrayé est si difficile à surmonter quand on est né galgo en Espagne.

Adopter un chien traumatisé n’est pas un mince affaire, j’ai eu l’occasion de m’en rendre compte maintes fois. Malgré le fait que leur parcours à tous soit extrêmement difficile, j’ai pourtant rarement rencontré de galgo agressif. Ils restent de merveilleux chiens en toutes circonstances.

Il faut une patience incroyable pour gagner leur confiance, sachant que ces chiens évitent le contact et nous voient au début comme une possible menace.  Il n’y aura souvent que des micros évolutions (et parfois même des « retours en arrière » comme ce fut le cas pour Ebany), mais lorsque, au bout de longs moments de doutes, ces merveilleux lévriers vous voient enfin comme un « ami », vous comprendrez pourquoi vous avez choisi d’adopter un chien au lourd passé.

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