Les animaux et le miroir : qui se voit et qui ne se voit pas ?
Le miroir est un objet fascinant pour les humains, qui peuvent s’y admirer ou s’y critiquer. Mais qu’en est-il des animaux ? Sont-ils capables de se reconnaître dans un miroir, ou pensent-ils qu’il s’agit d’un autre individu de leur espèce ? Qu’est-ce que cela révèle sur leur conscience de soi et leur intelligence ?

Le test du miroir : une mesure de la conscience de soi
Pour répondre à ces questions, les scientifiques ont mis au point un test simple mais ingénieux: le test du miroir. Il consiste à marquer discrètement une partie du corps de l’animal (par exemple le front ou l’oreille) avec une substance colorée (par exemple de la peinture ou un autocollant) et à observer sa réaction face à un miroir. Si l’animal touche ou examine la marque, cela signifie qu’il se rend compte que le reflet est le sien, et non celui d’un congénère. Il a donc une forme de conscience de soi, c’est-à-dire qu’il est capable de se distinguer des autres et de se représenter mentalement.
Le test du miroir a été inventé en 1970 par le psychologue américain Gordon Gallup Jr., qui s’est inspiré d’une anecdote sur Charles Darwin et une orang-outan nommée Jenny. En visitant le zoo de Londres en 1838, Darwin a observé Jenny se regarder dans un miroir et faire des grimaces. Il a alors supposé qu’elle se reconnaissait elle-même.
Gallup a donc décidé de tester cette hypothèse avec des chimpanzés sauvages, qui n’avaient jamais vu de miroir auparavant. Il a constaté que les chimpanzés passaient par plusieurs étapes : d’abord, ils menaçaient leur reflet, pensant qu’il s’agissait d’un rival; ensuite, ils se montraient curieux et jouaient avec leur image; enfin, ils utilisaient le miroir pour s’inspecter eux-mêmes, notamment les parties du corps habituellement invisibles sans miroir. Gallup a ensuite marqué les chimpanzés avec de la peinture rouge sur le front et l’oreille, et a observé qu’ils touchaient ces zones en regardant le miroir. Il en a conclu qu’ils avaient réussi le test du miroir.

Miroir, mon beau miroir : les animaux qui se reconnaissent et ceux qui nous étonnent.
Depuis l’expérience de Gallup, de nombreux autres animaux ont été soumis au test du miroir, mais très peu ont réussi. Voici la liste des espèces qui ont montré une capacité à se reconnaître dans un miroir:
Les grands singes : les chimpanzés, les bonobos, les orangs-outans et les gorilles sont les plus proches cousins des humains sur le plan génétique, et ils partagent avec nous cette faculté de se voir dans un miroir. Cependant, tous les individus ne réussissent pas le test: il faut qu’ils aient été élevés en captivité ou en contact avec des humains, et qu’ils aient eu accès à des miroirs pendant un certain temps. Les singes sauvages ou isolés échouent généralement au test.
Les éléphants : un seul éléphant d’Asie, nommé Happy, a réussi le test du miroir en 2006. Il s’agit d’une femelle qui vit au zoo du Bronx à New York. Elle a été marquée avec un X blanc sur le front et a touché cette zone avec sa trompe en se regardant dans un miroir géant. Les autres éléphants du zoo ont échoué au test, ainsi que les éléphants d’Afrique testés dans d’autres études. On ne sait pas pourquoi Happy est la seule à avoir réussi, ni si d’autres éléphants pourraient le faire dans d’autres conditions.
Les dauphins : les dauphins sont connus pour être des animaux très intelligents et sociaux, capables de communiquer entre eux et avec les humains. Ils ont aussi montré une capacité à se reconnaître dans un miroir. En 2001, deux dauphins tachetés, nommés Presley et Tab, ont été marqués avec des autocollants sur différentes parties du corps et ont été exposés à un miroir sous-marin. Ils ont immédiatement orienté leur corps pour regarder les marques dans le miroir, et ont essayé de les enlever avec leur nageoire ou leur bouche. D’autres espèces de dauphins, comme les grands dauphins ou les orques, ont aussi réussi le test du miroir.
Les pies : les pies sont des oiseaux très intelligents, capables de résoudre des problèmes complexes et d’utiliser des outils. Elles sont aussi les seuls oiseaux à avoir réussi le test du miroir. En 2008, cinq pies eurasiennes, nommées Gerti, Goldie, Frieda, Mozart et Max, ont été marquées avec une tache jaune ou noire sur la gorge ou sous l’aile. Elles ont été placées devant un miroir et ont réagi différemment selon la couleur de la tache. Si la tache était jaune, elles essayaient de l’enlever en se grattant ou en se picorant; si la tache était noire, elles l’ignoraient, car elle se confondait avec leur plumage. Cela suggère qu’elles se rendaient compte que le reflet était le leur, et non celui d’un autre oiseau.
Les poissons nettoyeurs : les poissons nettoyeurs sont des poissons tropicaux qui vivent en symbiose avec d’autres espèces marines. Ils se nourrissent des parasites et des tissus morts qui se trouvent sur la peau ou dans la bouche de leurs clients. Ils ont aussi montré une capacité à se reconnaître dans un miroir. En 2019, des chercheurs ont marqué quatre poissons nettoyeurs mâles avec un gel coloré sur la tête et les ont placés devant un miroir. Ils ont observé que les poissons essayaient de se frotter la tête contre des surfaces rugueuses pour enlever le gel, mais seulement quand ils voyaient leur reflet dans le miroir. Quand le miroir était absent ou recouvert, ils ne montraient pas ce comportement.
Ces animaux sont donc les seuls à avoir passé le test du miroir avec succès. Mais cela signifie-t-il qu’ils sont les seuls à avoir une conscience de soi ? Pas forcément. Certains chercheurs pensent que le test du miroir est trop limité et biaisé pour mesurer la conscience de soi chez tous les animaux. Il repose uniquement sur des critères visuels et corporels qui ne sont pas adaptés à toutes les espèces.
Les animaux qui échouent au test du miroir : des incompris?
De nombreux animaux échouent au test du miroir, mais cela ne veut pas dire qu’ils n’ont pas de conscience de soi. Il se peut qu’ils utilisent d’autres sens que la vue pour se reconnaître, comme l’odorat ou l’ouïe. Il se peut aussi qu’ils aient une conception différente de leur identité, qui ne repose pas sur leur apparence physique.
Par exemple, les chiens sont des animaux très intelligents et affectueux, qui peuvent reconnaître leurs maîtres et leurs congénères à l’odeur ou au son. Mais ils échouent au test du miroir, car ils ne sont pas très attentifs à leur image visuelle. Ils peuvent même ignorer le miroir ou s’y désintéresser complètement.
De même, les perroquets sont des oiseaux très intelligents et bavards, qui peuvent imiter la voix humaine ou d’autres sons. Mais ils échouent aussi au test du miroir, car ils ne se reconnaissent pas à leur plumage ou à leur forme. Ils se reconnaissent plutôt à leur voix ou à leur personnalité. Ils peuvent même se donner des noms et les utiliser pour s’interpeller.
D’autres animaux peuvent avoir une conscience de soi plus collective que individuelle, comme les fourmis ou les abeilles. Ces insectes sociaux vivent en colonies très organisées et coopératives, où chaque individu a un rôle précis et dépend des autres. Ils échouent au test du miroir, car ils ne se perçoivent pas comme des entités séparées, mais comme des parties d’un tout. Ils ont une sorte de conscience de groupe, qui leur permet de s’adapter et de survivre.

Conclusion : le miroir n’est pas le seul reflet de la conscience de soi
Le test du miroir est un outil intéressant pour étudier la conscience de soi chez les animaux, mais il n’est pas suffisant ni universel. Il ne prend pas en compte la diversité des espèces, des sens, des cultures et des modes de pensée. Il ne mesure qu’un aspect de la conscience de soi, qui est la reconnaissance visuelle et corporelle.
Il existe d’autres formes de conscience de soi, qui peuvent être basées sur l’odorat, l’ouïe, la voix, la personnalité ou le groupe. Ces formes de conscience de soi peuvent être tout aussi complexes et importantes que celle que nous mesurons avec le miroir. Elles peuvent même nous apprendre quelque chose sur nous-mêmes et sur notre rapport au monde.
Les animaux sont donc plus conscients et intelligents que ce que nous croyons souvent. Ils ont chacun leur façon de se voir et de se connaître. Et ils ont peut-être aussi leur façon de nous voir et de nous connaître.